Cet article présente l’ampleur des VBG dans l’espace professionnel au Sénégal ainsi que les enseignements tirés d’une enquête nationale et les perspectives de prévention et de lutte contre ce phénomène. Le Laboratoire Genre et Sociétés (GESTES) de l’Université Gaston Berger qui a mené cette étude, de 2011 à 2013, auprès de 70 entreprises publiques et privées et des organisations de promotion des droits humains, espère susciter auprès des destinataires de ce document une prise de conscience sur l’étendue des périls de justice et de sécurité dans les milieux professionnels sénégalais.
Violences Basées Sur Le Genre : Quels Constats ?
Les formes de violences subies dans les milieux professionnels sont d’ordre psychologique (35,5%), économique (27,5%), physique (9,7%) et sexuel (6,5%). Aussi, remarque-t-on des cas non classables parmi les modalités prédéfinies (16% chez les femmes et 13% chez les hommes) tels que les « altercations », « manque de prise en charge », « langages abusifs » et « humiliations sournoises ».
La forme de violence la plus subie par les femmes est la violence psychologique (50%). Pour les hommes, c’est la violence économique (34,1%). Par ailleurs, 16,7% des femmes et 2,3% des hommes sont victimes de violences sexuelles au travail. Les VBG en milieu professionnel sont perpétrées durant les heures ouvrables (92,5% des cas), les heures non ouvrables (5% des cas) et les heures de pause (2,5% des cas).
Les principaux auteurs de VBG sont les supérieurs indirects (42,5%), les collègues (27,5%), les supérieurs directs (22,5%) et les subalternes (7,5%). Les réactions des auteurs présumés sont la menace (12%), le refus (15%), la demande d’excuse (42%), l’aveu (3%), l’évitement (18%) et la promesse de ne plus recommencer (9%).
Violences Basées Sur Le Genre: Quels enseignements ?
Le milieu professionnel sénégalais est un espace d’inégalités de genre avec un personnel masculin de 64,7% et féminin de 35,3%, et une répartition des revenus, salaires, positions et statuts souvent accaparés par les hommes. Ces situations sont des sources de VBG dans les milieux professionnels.
Ces violences sont surtout liées aux harcèlements sexuels, plus connu sous le nom de promotion « canapé». Certaines nous expliquent que pour avoir une promotion, on leur propose un contrat et si elles ne signent pas, on les renvoie. (Entretien réalisé en décembre 2013)
Les femmes victimes de violence se situent au niveau opérationnel des entreprises (Secrétariat, Standard, Caisse et Bureau de liaison). Cette position d’interface entre la direction et les usagers les expose aux surcharges de travail. Elles sont également exposées aux plaintes des usagers et à la pression des collègues.
Une autre cause principale des VBG est le statut professionnel des auteurs. Sur les 17,3% qui ont avoué avoir été auteur de VBG, les 42,5% ont un statut professionnel supérieur à leur victime, les 22,5% sont situés au niveau supérieur hiérarchique direct des victimes. Ce sont les hommes (10,1%) qui avouent le plus de VBG réalisées que les femmes (7,2%). Face aux VBG dans les milieux professionnels, 61% des victimes se résignent et 9% arrêtent le travail. L’impunité des VBG dans les entreprises pousse les victimes à recourir faiblement aux instances internes de protection des travailleurs. Le milieu professionnel est un lieu de production de violences et d’impunité. La prévention des VBG y est fondamentale.
Il y a un faible traitement des VBG dans les entreprises : 18% des cas pris en main par le syndicat et 40% par la Direction. Une forte résilience caractérise les victimes de VBG en milieu professionnel : 60% d’entre elles continuent de travailler malgré l’impunité des auteurs. On constate un traitement disproportionné par rapport à l’ampleur des VBG de la part des instances de gestion des personnels car parmi les auteurs, seuls deux (2) ont subi des mesures disciplinaires dont (1) un licenciement et (1) une mise à pied disciplinaire.
Le traitement médiatique des VBG met l’accent sur les abus des employeurs sur leurs employés, en présentant la violence comme un phénomène à sens unique. Les témoignages anonymes et les faits rapportés par les médias sont exposés dans les rubriques « faits divers », « people » ou « sociétés » de plusieurs médias.
Violences Basées Sur Le Genre: Quelles Conclusions ?
Les VBG en milieu professionnel concernent à la fois les hommes et les femmes. Elles apparaissent comme le résultat de plusieurs formes d’inégalités observées dans les entreprises sénégalaises, à la fois dans leur composition, leur structuration et dans le fonctionnement de leurs instances de protection des droits des travailleurs.
Là où les Syndicats et les Directions sont faiblement recourus pour le traitement des abus, les Inspections du travail pourraient alors constituer une alternative de justice pour les victimes de violences dans les milieux professionnels.
Les travailleurs interrogés optent plus pour un renforcement de la communication que pour l’adoption de mesures répressives contre les VBG dans les milieux professionnels. Le dialogue social est un concept qu’il faudrait opérationnaliser sans conditions pour prévenir efficacement les violations des droits humains dans les espaces de travail.
Il faut alors tendre vers la mise en œuvre d’une campagne nationale de sensibilisation des acteurs du monde du travail sur les abus dans les milieux professionnels sénégalais. Les axes stratégiques de cette communication sont : la présentation des résultats de l’enquête nationale lors des rencontres des acteurs du travail (fête du travail, journées de l’emploi, assises, etc.), l’implication des administrateurs d’entreprise, la publication de documents de vulgarisation et l’incitation du Ministère de tutelle à l’adoption d’une charte « Zéro VBG dans les milieux professionnels au Sénégal ».